Pourquoi est-ce nous qui devons faire quelque chose ? 

En fait, nous ne devons rien faire. Nous devons les laisser faire. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Angus Deaton, prix Nobel d’économie 2015.

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Dans son livre, « La grande évasion », au chapitre 7 (« Comment aider les laissés-pour-compte ? »), il écrit : « Nous comprenons souvent si mal de quoi ils ont besoin ou envie, et comment leur société fonctionne, que nos tentatives maladroites d’aider selon nos propres termes font plus de mal que de bien. […] Et quand nous échouons, nous persévérons parce que nos intérêts sont en jeu – il s’agit de notre industrie, dans laquelle travaillent surtout nos professionnels de l’aide, qui vaut à nos politiciens plus de prestige et plus de voix – et parce que, après tout, nous devons faire quelque chose. »

Il est pourtant bien difficile de reconnaître que nous devons les laisser faire. Sauront-ils vraiment dire de quoi ils ont besoin, en incluant les besoins pour le long terme ? Sauront-ils faire ? Sauront-ils faire un bon reporting aux bailleurs de fonds ? Sont-ils fiables (pour ne pas dire « Ne sont-ils pas corrompus ») ? Une seule réponse à toutes ces questions (sauf à la dernière entre guillemets) : OUI. Oui, ils savent de quoi ils ont besoin, oui ils connaissent leur société, et ils sont capables de concevoir leurs propres solutions, y compris pour le long terme. Et si ces solutions s’avèrent ne pas convenir, ils seront capables de les arrêter et de tenter quelque chose d’autres. S’il faut s’en convaincre, regardons juste toutes les initiatives locales.

Et oui, cela peut paraître bizarre d’accepter que, plus nous aidons, plus les choses empirent. Après tout, pendant des siècles nous ne les avons pas aidés, et ils n’ont pas évolué. Alors pourquoi cela changerait-il si nous cessions de les aider ? En fait, la situation est extrêmement différente. La technologie a largement répandu le savoir ; et les choses évolueront donc, que nous le voulions ou non. Sauf si nous persistons à inonder d’argent des gouvernements corrompus, qui n’ont précisément aucun intérêt à ce que cela change, car cela les menacerait, et qui emploient donc toute leur autorité à éviter que cela ne change. Sur cela, Angus Deaton rejoint Dambisa Moyo, et son livre extraordinaire « L’aide fatale » (le titre parle de lui-même).

Alors, que devons-nous faire de tout cet argent que consacrent les pays riches à l’aide internationale ? Faire des économies ? Payer moins. Ou plutôt la transférer vers des projets nés localement, basés sur des approches collaboratives ? Les montants nécessaires seront probablement divisés par dix, ce qui libérera des montants colossaux pour financer dans nos pays des recherches autrement non rentables, comme sur la malaria.

Toutefois, il faut mentionner que, à la fois Angus Deaton et Dambisa Moyo considèrent que le champ de la santé fait exception ; Angus Deaton, qui va plus loin que Dambisa Moyo dans ce domaine, fait la différence entre les programmes « verticaux », utiles et efficaces, même s’ils perturbent parfois les systèmes de santé locaux, et la santé primaire, pour laquelle les approches traditionnelles de l’aide se sont, selon lui, révélées inefficaces ; pour la santé primaire, Angus Deaton recommande des approches locales (voir mon post sur ce sujet – publication prochaine).

En résumé, selon ces deux auteurs, le futur du développement repose sur des initiatives locales, auto-initiées, auto-gouvernées, collaboratives et innovantes.